Souvenirs des années de guerre 1939-1945
Nous vous invitons, vous qui étiez enfant ou adolescent pendant ces années de guerre, ou à qui l’on a beaucoup parlé de ces moments-là, à nous faire part de vos souvenirs et ressentis, soit en publiant votre témoignage sur la page Facebook de Tramstoria, soit en nous l’adressant par mail ou par courrier: Nous contacter
Nous publierons sur cette page les témoignages retenus.
Parce que nous sommes tous des porteurs de mémoire et qu’il est utile de se rappeler… Parce qu’il est important que les jeunes générations aient accès à ces souvenirs, merci par avance de participer à cet appel!
Nous ouvrons cet appel à témoignages par la publication de celui envoyé par un Marseillais qui habitait alors Saint-Marcel (11e), quartier situé à l’est de la ville dans la vallée de l’Huveaune.
Saint-Marcel, Marseille : la libération, je me souviens…
par Jean (Marseille)
8 mai 1945. Que représente pour moi cette date ? Bien sûr, la fin d’une guerre épouvantable, et ce jour-là, le son des cloches qui carillonnaient à toute volée et les gens dans les rues qui s’embrassaient pour fêter l’événement. Mais ce n’était en fait que l’aboutissement d’un long combat et la fin d’une sombre période que j’avais vécue dans une banlieue de Marseille qui était encore un village : Saint-Marcel.
Une année auparavant, nous avions vécu des heures tragiques avec la libération de la ville. Depuis le 27 mai 1944, jour du bombardement qui fit de nombreux morts, notre vie était rythmée par les sirènes qui annonçaient les raids des avions alliés sur la ville. Je garde d’ailleurs un souvenir concret de cette journée puisque quelle ne fut pas ma surprise de trouver dans mon jardin un rapporteur fabriqué aux Etats-Unis, tombé d’un avion.
Durant ces alertes, on assistait à la fuite éperdue des habitants du village qui, avec un léger bagage – mais ô combien précieux ! – gagnaient, de jour comme de nuit, les hauteurs de la colline où se trouve la chapelle Notre-Dame de Nazareth. Quant à nous, à l’exception de ma grand-mère qui résistait à sa façon en restant dans sa chambre, nous allions nous terrer dans une tranchée couverte que nous avions construite avec mon père, seul endroit où, d’après lui, nous étions un peu à l’abri. Il parlait en connaisseur, lui qui avait vécu et souffert pendant quatre années dans les tranchées à Verdun et en de nombreux autres lieux.
Au mois d’août 1944, les Allemands que nous avions côtoyés et souvent vus défiler sur la route nationale en chantant insolents et fiers, pourchassés par les résistants et les soldats venus d’Afrique du Nord, s’étaient réfugiés dans le vieux château du comte de Forbin, ambassadeur de France au Siam sous Louis XIV. Par ironie du sort, dans la demeure du comte était gravée dans le marbre du hall d’entrée l’inscription suivante : « Lassé d’espérer et de feindre, je viens attendre ici la mort sans la désirer ni la craindre. »
J’étais trop jeune pour participer à cette action, mais j’ai eu plusieurs camarades un peu plus âgés qui l’ont fait. Certains y ont laissé leur vie. Je me souviens en particulier de l’un d’entre eux, mort d’une manière atroce. Poursuivi par les Allemands sur le boulevard de Saint-Marcel, après avoir frappé à de nombreuses portes qui ne se sont pas ouvertes, et pour cause, il a terminé sa vie criblé de balles devant le cinéma le Régence où il allait comme nous tous, toutes les semaines ou presque, passer les dimanches après-midis à regarder des films.
Mon premier contact avec nos libérateurs a été particulier. En effet, alors que les combats faisaient rage dans le village et que nous étions à l’abri dans notre jardin, nous avons vu surgir brusquement un militaire qui nous semblait venu de nulle part tant son uniforme nous était inconnu, mais que nous allions voir si souvent par la suite.
Ce militaire n’était autre que mon cousin qui était venu nous saluer avant d’aller avec ses camarades venus d’Afrique du Nord libérer Marseille. Nous ne l’avions pas vu depuis plusieurs années.
Vers la fin du mois d’août, pour nous les habitants de Saint-Marcel, ce fut un profond soulagement de voir notre village libéré et les occupants faits prisonniers. Cela signifiait aussi : retour des nuits calmes, dissolution de la peur…